Pêche à pied, des eaux à la coque
Installation, repas collectif, 2023Brèche de coquillage et kermesse
un texte de Sûrya Buis, février 2024
C’est début juillet, sous l’azur grisâtre de Bretagne, qu’une invitation est lancée : glaner les mollusques laissés par les flots, tester la plante de nos pieds puis partager un repas au coin du feu. Cap Plounéour-Trez pour ouvrir la chasse à la coque : blanches, striées et bombées, elles renferment une noix blanche et ferme qui se mariera fort bien avec le poireau. Cachés dans les entrelacs des récifs, ces doux crustacés sont en effet destinés à la soupe collective prévue le lendemain. L’occasion de découvrir la pointe du bout du monde que symbolise le Finistère et d’expérimenter une recette originale toute d’argile vêtue.
Niché au 13 bis, rue de la Digue, à Brest, un hangar où se jouent des expérimentations artistiques accueille des artistes en résidence chaque année : l’atelier Brèche est tenu par des actrices culturelles locales et Sarah Penanhoat est l’artiste invitée de ce début d’été. Elle a créé des creusets en terre cuite ainsi qu’une trentaine de petits bols destinés à ce goûter-dîner et imaginé une structure pour les soutenir. La suite de l’exploration artistique a lieu le jour suivant la promenade en mer.
Dans la continuité de l’idée d’œuvre participative, la céramiste a rassemblé pour l’occasion plusieurs photographies d’ami.e.s, d’inconnu.e.s, de connaissances, occupé.e.s à déguster différents aliments, dans des situations insolites ou plus classiques, proprement, goulûment ou à pleine main. Projetés au mur du hangar, ces visuels attisent la gourmandise et réveillent nos papilles ; nous salivons et regardons saliver. Une multitude d’œufs durs sont mis à disposition sur un grand plateau de terre, leur coque encore intacte fait écho à celle des coques que l’on a ôtées. Disposées sur un monticule de sable épousant les formes du support triangulaire, on peut admirer le travail de l’argile produit en amont : les bolinets dont la forme irrégulière rappelle celle d’une huître et les creusets sont exposés à la chaleur de la braise noire. On se sert d’une louche en céramique pour remplir notre panse et nos assiettes, les bouches sont pleines et la fête cajole nos sens : on caresse le vernis de la vaisselle, on s’amuse des clichés triviaux, on respire d’étonnantes senteurs remplies d’oligoéléments et bien sûr on savoure le fruit de la récolte. Différentes disciplines interagissent - arts de la table, art de la terre, art de la pêche - et concoctent un ensemble vivifiant qui se veut plus festif que didactique.
La vapeur sème les exhalaisons des mets hors-mur invitant les passants curieux à la kermesse. Pour ce pique-nique, pas de nappe à carreaux, mais des reflets ondulatoires, ceux de la fumée qui éclaire le bitume. Le trigone de métal nous rassemble en un cercle imparfait et porte les trois récipients dans une symbiose chaleureuse. L’érosion des roches qui crée des vasques, des cavités, résonne avec la mystérieuse sculpture. L’ensemble évoque un rituel, une cérémonie anti-cérémonieuse, un repas improvisé sur le béton. L’odeur de la soupe aux poireaux sublime cette zone urbaine excentrée et y injecte des saveurs rondes et sucrées. Des saynètes sensorielles se dessinent dans la brume du littoral, le souffle de la mer rocailleuse, la mélodie mélancolique de Fiesta en el Vacio, concert qui suit la dégustation, et en arrière-fond les murmures du centre-ville de Brest, où une marche solidaire pour Nahel à eu lieu quelques heures auparavant. Céramiques et coquillages font bon ménage, ces tableaux vivants font de la performance artistique une zone ouverte. Les souvenirs liés à l’installation participante laissent un goût de vacances, d’étoiles de mer et d’expérience collective : la nourriture devient le moteur d’une conversation estivale et de son prolongement.