D'un bout à l'autre, p u r é e
Faïence rouge engobée, partiellement émaillée, dimensions variablesVers la montagne
” (…) Sarah Penanhoat confère à son retour de 2016 au Pérou la dimension d’un voyage initiatique. Au fil de la cordillère des Andes, elle a éprouvé cette lenteur et cet espace qui, selon Nicolas Bouvier, « agissent, ajustent et purgent comme une drogue à la fois émétique et hallucinatoire » (« Routes et déroutes : Réflexions sur l’espace et l’écriture », 1989), où la voyageuse finit par disparaître à mesure que l’ordre habituel des choses et les certitudes s’estompent. La dilatation et la densification de l’attente, et donc de la durée qu’elle y a expérimentée, ont consumé les repères et les rapports d’échelle d’une vie européenne, déréglant de surcroît tout rythme intime.
À des milliers de kilomètres de là-bas, presque immobile, Sarah Penanhoat entreprend maintenant un autre Grand Tour andin, dont elle construit et reconstruit le récit, tant à travers les mots que la terre. Avec patience et minutie, elle s’attaque à des sommets incommensurables, toujours repoussés, l’amenant parfois au renoncement à donner un terme au périple – telle Pénélope qui n’aurait jamais achevé son ouvrage sans la survenue d’Ulysse. Si Nicolas Bouvier dit écrire « pour sauver de l’oubli », le souvenir de la montagne qu’elle élabore tient autant de Roy Neary qui, au cours de Rencontres du troisième type de Steven Spielberg (1977), en fabrique obsessionnellement une qu’il n’a pas encore vue, que de Paul Cézanne et sa Sainte-Victoire qui, suivant L’Œil et l’Esprit de Maurice Merleau-Ponty daté de 1960, « se fait et se refait d’un bout à l’autre du monde, autrement, mais non moins énergiquement que dans la roche dure au-dessus d’Aix. » A la croisée de l’avenir, du passé et du présent, le récit que Sarah Penanhoat continue aujourd’hui d’édifier dispose de son « temps propre », ainsi que l’exprime Maurice Blanchot : celui « des métamorphoses où coïncident, dans une simultanéité imaginaire et sous la forme de l’espace que l’art cherche à réaliser, les différentes extases temporelles. »
Arnaud Dejeammes, avril 2021
Vues des expositions Les courbes de Babylone, Modulo, 2021 et Comme iel vous plaira, Atelier Bouillon, 2022